CHAPITRE XXIII
Richard Egerton relut la carte posée devant lui et reporta son regard sur le large visage du chef inspecteur Davy.
— Une affaire étrange.
— Oui, Monsieur, une affaire très étrange.
— L’hôtel Bertram et le brouillard. J’imagine qu’un temps pareil vous donne du travail généralement ?
— Il ne s’agit pas, cette fois, d’un sac volé mais d’un attentat, Monsieur.
— D’où tirait-on sur Miss Blake ?
— À cause du brouillard, nous ne pouvons le deviner. Miss Blake elle-même est incapable d’affirmer quoi que ce soit. Mais nous pensons que l’homme se cachait dans le terrain vague, voisin de l’hôtel.
— Vous dites qu’il lui a tiré dessus deux fois ?
— Oui. Et ce fut le deuxième coup qui atteignit le portier.
— Un brave, il me semble ?
— Sa carrière militaire le prouvait déjà. Il était irlandais.
— Comment s’appelle-t-il ?
— Michael Gorman.
— Michael Gorman ? (L’homme d’affaires se tut, fronça les sourcils et reprit :) Un moment, j’ai cru que le nom me rappelait quelque chose.
— Un nom très commun. Toujours est-il qu’il a sauvé la vie de la jeune fille.
— Au fait, quel est le but de votre visite, inspecteur ? Je n’ai vu Elvira que deux fois depuis sa naissance et je ne pense pas…
— On m’a appris qu’elle était inquiète et convaincue que sa vie était en danger. Vous a-t-elle donné cette impression lors de sa visite ?
— Je n’irais pas jusque-là, bien qu’elle ait eu une ou deux réflexions qui m’intriguèrent un peu.
— Des réflexions de quel genre ?
— Elle voulait savoir qui bénéficierait de son argent si elle venait à mourir brusquement.
— Ah ! Elle y pensait donc ?
— Elle avait sûrement quelque chose en tête, mais j’ignore quoi. Elle voulait aussi connaître le montant de son héritage.
— Beaucoup d’argent, j’imagine ?
— Une très belle fortune, inspecteur.
— Pourquoi vous a-t-elle posé ces questions, à votre avis ?
— Allez deviner ! Elle a aussi fait allusion à l’éventualité d’un mariage.
— Avez-vous eu l’impression qu’un homme était mêlé à l’histoire ?
— Je n’ai aucune certitude, bien entendu, mais… oui, j’ai tout de suite pensé à cela. C’est ce qui a lieu généralement. Luscombe, c’est son tuteur, n’a pas semblé partager mon opinion. Toutefois, il m’a paru préoccupé lorsque je lui ai suggéré qu’il devait y avoir un homme dans la vie de sa pupille et probablement un garçon qui n’était pas de son milieu.
— Pas du tout de son milieu, en effet.
— Vous savez donc de qui il s’agit ?
— Ladislas Malinowski.
— Le pilote de voitures de course ? Vraiment ! Un beau casse-cou ! Les femmes tombent facilement amoureuses de lui. Je me demande comment il a rencontré Elvira ? Attendez, il se trouvait à Rome, il y a environ deux mois, c’est probablement là qu’ils se sont connus.
— Probablement. À moins que sa mère ne la lui ait présentée ?
— Bess ? Je ne pense pas.
Davy toussa.
— On dit que lady Sedgwick et Malinowski sont très intimes.
— On le murmure. Leur intimité tient peut-être à leur même façon d’envisager l’existence. Mais de toute manière, Bess et sa fille ne se rencontrent jamais.
— C’est ce que lady Sedgwick m’a confirmé. Miss Blake a-t-elle d’autres parents ?
— Aucun. Mrs Melford qu’Elvira appelle « cousine Mildred » n’est que la cousine du colonel Luscombe.
— Vous dites que Miss Blake a fait allusion à un mariage éventuel ? Il est peu probable qu’elle soit déjà mariée… je suppose ?
— Elle n’est pas encore en âge et, de toute manière, il lui faudrait l’accord de ses tuteurs.
— Pratiquement, oui. Mais les jeunes n’attendent pas toujours les permissions.
— Je sais. Tout à fait regrettable, à mon avis.
— Et, une fois qu’ils sont mariés, il ne reste qu’à s’incliner. J’imagine que si elle était mariée et venait à mourir subitement, son mari hériterait ?
— Cette histoire de mariage me paraît inconcevable ! Elvira a été élevée d’une manière très stricte…
Il s’interrompit devant le sourire ironique du chef inspecteur.
— Quelles que soient les précautions avec lesquelles Elvira avait été élevée, elle a quand même réussi à lier connaissance avec Ladislas Malinowski.
Le notaire remarqua, gêné :
— Il est vrai que sa mère s’enfuit lorsqu’elle était encore très jeune…
— C’est possible, toutefois sa fille est différente. Elle a peut-être les mêmes aspirations, mais elle utilise des tactiques différentes.
— Vous ne pensez tout de même pas…
— Pour le moment, je ne pense encore rien.